Rencontre avec Eduardo Blanco-Muñoz

Texte principal

Échanges autour de la culture sécurité, de ses piliers, des facteurs de réussite, des traits d'un leader et des écueils à éviter pour assurer une sécurité efficace en entreprise.

Interview d'Eduardo Blanco-Muñoz

Qui êtes-vous et quel est votre parcours ?

Je suis père de trois enfants, voyageur, préventeur de profession et accessoirement écrivain. Concernant mon parcours académique, je suis ingénieur diplômé par l’État en gestion des risques et titulaire d’un DESS en génie de l’environnement ainsi que d’un master en sciences de l’environnement. J’ai par la suite réalisé des parcours de executive education avec l’EDHEC et Harvard Business School.

 

Aujourd’hui je suis le Directeur de la Prévention des Risques Santé – Sécurité – Sûreté – Environnement d’un grand groupe français du BTP. Après des études entre l’Espagne, le Royaume-Uni et la France j’ai commencé ma carrière au début des années 2000 sur le terrain en tant que responsable QHSE et maintenance d’un site Seveso « seuil haut » de l’un des géants de la chimie. Ensuite j’ai souhaité m’orienter vers la coordination et l’international et j’ai rejoint le leader mondial de l’optique en tant que Responsable Environnement pour l’Europe. Je suis revenu à une fonction QHSE intégrée dans le monde des grands projets en tant que Responsable avec un périmètre EMEA au sein d’un grand groupe pour une branche spécialisée dans la construction de barrages hydroélectriques. Puis j’ai eu mon premier poste de direction HSE et Risques Industriels avec un périmètre mondial dans un groupe français de l’aéronautique. Avant mon poste actuel j’ai occupé celui de Directeur Santé – Sécurité – Sûreté Groupe chez l’un des leaders mondiaux de la logistique et du transport.

 

Le fil conducteur de toute ma carrière a été d’apporter aux décideurs et aux opérationnels une vision de la prévention orientée vers l’humain. En parallèle des postes précités, j’ai eu l’opportunité d’enseigner pendant plusieurs années la sécurité comportementale et la culture sécurité en tant que vacataire dans le cadre du master MQSE de l’université Sorbonne – Paris Nord. Cela m’a amené à écrire plusieurs articles dans la collection Techniques de l’Ingénieur et des chapitres dans des ouvrages collectifs, puis le livre « Facteur humain & culture sécurité » pour CNPP Editions.

Quand on parle de culture sécurité au sein d’une entreprise de quoi parlons-nous réellement ?

L’expression « culture sécurité » est un raccourci pour évoquer une culture organisationnelle dans laquelle la sécurité occupe une place centrale. Il est important de comprendre que cette « culture sécurité » ne peut pas exister en filigrane ou en parallèle au sein de l’organisation, à côté ou juxtaposée à la « vraie culture » de celle-ci. Les efforts pour bâtir cette « culture sécurité » consistent donc à mettre en place les structures, mécanismes et pratiques qui assureront que la sécurité se situe et se maintienne au centre de tous les enjeux de l’organisation.

 

Il est important de comprendre que cette « culture sécurité » ne peut pas exister en filigrane ou en parallèle au sein de l’organisation, à côté ou juxtaposée à la « vraie culture » de celle-ci.

Eduardo Blanco-Muñoz
Directeur HSSE Groupe Spie batignolles

Ces éléments, plus ou moins formels, deviennent des véritables « artéfacts culturels » et orientent les comportements de chacun des acteurs vers la sécurité à partir du moment où ils sont déployés de façon à leur donner un véritable sens. Comme dans le paradoxe de l’œuf et de la poule, c’est l’état d’esprit partagé collectivement qui fait que les techniques de travail et les pratiques de management axées sur la prévention sont majoritairement suivies, et c’est la mise en exergue quotidienne de ces techniques et pratiques qui insuffle cet état d’esprit partagé.

Sur quels piliers doit s’appuyer cette culture sécurité ?

Quand je parle d’état d’esprit je fais référence à ce que les psychologues appellent les attitudes des individus, qui peuvent être décrites simplement en tant que préférences comportementales. On peut les considérer comme des tendances ou des penchants pour agir de telle ou telle façon : en appliquant ce concept à notre sujet, on peut imaginer la tendance à prendre des précautions et des marges de sécurité ou simplement suivre les consignes, par opposition à la tendance à prendre des raccourcis. Ces préférences sont essentiellement individuelles mais, pour utiliser à nouveau l’image de l’œuf et de la poule (ou boucle de rétroaction positive dans le jargon de la théorie des systèmes) les individus acquièrent certaines attitudes au sein d’un collectif où celles-ci sont prévalentes.

Quand certaines croyances et certaines valeurs sont largement partagées au sein d’un groupe d’individus elles deviennent le socle de leur culture commune.

Eduardo Blanco-Muñoz

Les piliers des attitudes de l’individu sont ses croyances et ses valeurs. Quand certaines croyances et certaines valeurs sont largement partagées au sein d’un groupe d’individus elles deviennent le socle de leur culture commune. La valeur que l’on donne à la sécurité et les croyances qui y sont imbriquées sont donc bien les deux piliers sur lesquels s’appuie une « culture de la sécurité ». Ce sont elles qui vont donner du sens aux outils que l’on cherchera à mettre en œuvre pour maîtriser les risques. C’est sur elles qu’il faudra s’appuyer mais avant cela il faut bien les consolider.

 

La valeur de la vie, de la sécurité et de la santé de chacun sont presque universelles. On peut s’appuyer directement sur celles-ci, mais il faut garder à l’esprit que toute valeur est relative, et que l’on peut se retrouver face à des valeurs qui seraient concurrentes avec la sécurité et qui peuvent avoir beaucoup de poids, comme celles sous-tendant la pression de la production. On peut donc venir renforcer la valeur de la sécurité en tissant des liens avec d’autres valeurs qui peuvent être également très importantes comme la famille, son avenir professionnel, ses loisirs…

 

Quant aux croyances, je pars du postulat qu’il y en a certaines qui sont porteuses de risques et d’autres qui sont porteuses de prévention. Des exemples pour les premières seraient la conviction de la faible probabilité de subir un dommage ou la certitude de maîtriser un danger. Des exemples pour les secondes seraient d’être persuadé de sa propre faillibilité et du fait que les règles sont là pour une bonne raison. Il s’agit d’éroder les premières et de promouvoir les secondes.

Quels sont les facteurs de réussite de la diffusion de la culture sécurité dans une entreprise ?

Les valeurs et les croyances dont je viens de vous parler ne se décrètent pas. S’il suffisait de rappeler à chacun l’importance de la prévention et le bien fondé des consignes de sécurité cela ferait bien longtemps qu’il n’y aurait plus d’accident.

 

Il convient donc de bien cerner l’humain auquel on s’adresse. C’est ce que je vise dans la première partie du livre, car il y a beaucoup de dimensions de ce « facteur humain » qui sont méconnues. À l’aide des dernières découvertes en neurosciences on commence par les limites de la perception, de l’attention et des différents types de mémoire, puis on poursuit avec les limites de la rationalité. Bien connaitre les mécanismes et ressorts cognitifs, affectifs et motivationnels de l’être humain est une condition sine qua non pour orienter efficacement ses comportements.

 

C’est sur la base de cette compréhension que le leader en sécurité peut réfléchir à la meilleure stratégie, aux meilleures tactiques et aux techniques les plus adaptées pour faire évoluer la culture de son organisation dans le sens de la prévention. Le rôle du leadership est fondamental dans cette transformation, et c’est à son attention que j’adresse la seconde partie du livre. Qu’ils le fassent d’une manière délibérée ou pas, les leaders façonnent la culture de leur organisation. Au quotidien, avec des décisions et des choix plus ou moins structurants mais toujours empreints de symbolique, ils donnent la priorité ou pas à la sécurité et la placent ainsi dans la hiérarchie des valeurs de l’organisation. Avec des grands discours mais aussi avec des petits gestes, ils renforcent des croyances plus ou moins porteuses de sécurité.

Quels sont, selon vous, les traits essentiels d'un leader en sécurité efficace ?

Comme je le souligne dans mon livre, ce n’est pas tant une question de « traits de caractère » ou de personnalité que d’attitude et de vision stratégique.

 

Le leader doit faire preuve des valeurs et croyances sous-jacentes aux attitudes qu’il souhaite voir émerger et développer au sein du groupe

Eduardo Blanco-Muñoz

Le leader doit faire preuve des valeurs et croyances sous-jacentes aux attitudes qu’il souhaite voir émerger et développer au sein du groupe. Son exemplarité est la première des clés, suivie de sa volonté et sa capacité à fournir des retours adaptés et efficaces quand il est témoin de comportements qui l’interpellent. Il doit systématiquement reconnaitre et encourager les comportements sécuritaires, ainsi que s’intéresser à ceux qui lui semblent à risque. Il y a différents types de leadership et chacun peut être naturellement enclin vers l’un ou l’autre, mais ce qui est vital est de savoir adapter son style de leadership en fonction des compétences et des attitudes des personnes auxquels nous faisons face ainsi qu’à la culture dans laquelle on évolue.

 

Dans cet ouvrage je donne des clés pour évaluer le cadre culturel et macro-culturel pour déterminer le type de leadership le plus efficace dans chaque contexte, ainsi que différents outils issus de la recherche dans différentes disciplines et de la pratique de la prévention.

Quels sont les grands écueils à éviter pour une gestion performante des risques ?

Je crois (et ce sont donc mes croyances, que je suis prêt à expliquer, discuter et revoir au besoin) que l’une des difficultés majeures de la gestion des risques a traditionnellement été la vision issue de l’économie néoclassique selon laquelle l’être humain est pleinement rationnel, dans le sens utilitaire du terme. Toute erreur, tout écart devrait ainsi être évitable et le cas échéant sanctionnable.

 

Cette vision a souvent été couplée à une approche mécaniciste du monde et du travail, selon laquelle on peut tout prévoir et réglementer. Mais aussi à un taylorisme d’arrière-garde qui excluait les opérateurs de cette réflexion, et à un attachement au comportementalisme classique, selon lequel on peut directement modeler les agissements des travailleurs avec des récompenses et des punitions. Cela a transformé la prévention en quelque chose de foncièrement vertical, hiérarchique et punitif.

 

À bien y penser c’est quand même extraordinaire qu’on ait réussi à pervertir de la sorte la prévention qui est à la base, je le rappelle, fondée sur une valeur absolument positive : la préservation de la vie et l’évitement de la souffrance.

 

La préservation de la vie et l’évitement de la souffrance.

Eduardo Blanco-Muñoz

Il est grand temps à mon avis d’adopter une approche différente, qui intègre les dernières découvertes en neurosciences, en psychologie, en sociologie, en pédagogie… et qui met l’humain et ses cultures au centre de nos efforts. Des études très sérieuses nous indiquent que ceci n’est ni de l’idéalisme ni de l’idéologie, mais la meilleure des manières d’aborder la problématique des comportements : traiter l’humain tel qu’il est et non pas comme il est censé être.

Retrouvez l'ouvrage Facteur humain & culture sécurité sur www.cybel.cnpp.com